Toulouse avant Toulouse : ce que nous enseigne l’archéologie sur l’occupation des sols

Toulouse avant Toulouse : ce que nous enseigne l’archéologie sur l’occupation des sols

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Laurent BRUXELLES
Géoarchéologue
INRAP, Traces
Philippe GARDES
Protohistorien
INRAP, Traces
Marc JARRY
Préhistorien
INRAP, Traces

Toulouse, ses rues tortueuses convergeant vers le Capitole, sa basilique Saint-Sernin, sa cathédrale Saint-Etienne… Des monuments historiques, imposants et bien ancrés au sol depuis des temps immémoriaux. Leurs figures rassurantes symbolisent la ville et son histoire brillante. Ils apportent la garantie du passé et sont le gage de la continuité urbaine de Toulouse. Pour autant, a-t-on la certitude que Toulouse ait toujours été… à Toulouse ? Pour parler plus clairement, le sol de la ville actuelle recèle-t-il toute l’épaisseur historique de la cité ? À cette question, le Toulousain informé peut répondre crânement par l’affirmative, car ce sera sa conviction profonde et, en plus, il aura vu de loin des archéologues fouiller le sous-sol de la place Esquirol ou des Carmes. La question a donc tout d’iconoclaste pour un habitant normalement constitué. Cependant, l’historien et l’archéologue ne peuvent se contenter d’évidences populaires ; ils doivent interroger leurs sources et les analyser pour se faire une opinion.

La question a-t-elle seulement un sens ? En effet, Toulouse ou pas, les humains ont fréquenté la plaine de la Garonne depuis la Préhistoire ancienne. Ils y ont vécu au gré de leurs besoins, mais aussi des contraintes sur lesquelles ils n’ont pas toujours pu influer (climat, ressources…). Que raconte le sol sur la longue histoire de ce lieu qui est maintenant Toulouse ?

Le sol, une signification plurielle

Ce mot désigne tellement de choses à la fois qu’il est utile de définir dans quel sens on l’utilise, au-delà de son étymologie latine solum (semelle, base, surface sur laquelle on marche…). Ainsi, lorsque les archéologues parlent du sol d’un site, il s’agit de celui sur lequel les hommes ont marché, ont vécu et abandonné des vestiges de leurs activités. Ces sols sont ensuite recouverts par des sédiments, puis éventuellement par d’autres sols de nouvelles occupations. L’archéologue va donc les rechercher et les fouiller minutieusement, afin de mener son enquête sur les modes de vie du passé. Par contre, pour les géologues et notamment les pédologues (spécialistes des sols), c’est une pellicule minérale et organique, structurée en niveaux superposés (des horizons), et qui est le résultat d’une longue évolution en fonction du substrat rocheux, du climat, de la végétation voire des activités humaines. Une savante mais fragile alchimie !

Dans tous les cas, le sol désigne une interface entre la Terre et l’atmosphère. Au gré de l’histoire des paysages, cette surface a changé, tantôt érodée par l’eau, le vent ou la glace, tantôt ensevelie sous d’autres sédiments. Parfois, lorsque les conditions climatiques et topographiques le permettent, un sol dit « pédologique » peut alors se former. C’est un processus long, qui requiert souvent plusieurs milliers d’années, mais qui est le résultat d’un véritable équilibre écologique. L’altération de la roche puis l’incorporation progressive de matière organique est le point de départ de la formation d’un sol. Puis les circulations d’eau, mais aussi l’activité de la faune vertébrée et invertébrée et de la végétation, aboutissent à la différentiation progressive d’horizons. Ceux-ci sont de plus en plus marqués au fil du temps et leur nature, leur épaisseur et leur succession reflètent fidèlement les conditions locales. À tel point que lorsque celles-ci changent, du fait des variations climatiques ou de l’action anthropique, les sols constituent une mémoire des environnements passés.

 

Le sol préhistorique

Il reste difficile à appréhender car il cumule une évolution longue de plusieurs centaines de milliers d’années. Autour de Toulouse, combien de sols se sont formés, ont été détruits ou se sont superposés du fait des seuls agents naturels ? Pourtant, si l’on veut retrouver les traces de nos lointains ancêtres, il faut savoir chercher les traces de ces sols, car c’est sur eux qu’ils ont circulé.

Archéologie et géomorphologie se combinent alors pour identifier, au point de vue sédimentaire, ces sols anciens, que l’on appelle dans notre jargon, des « paléosols ». Ils soulignent un état du paysage qui a pu durer plusieurs millénaires, voire plusieurs dizaines de millénaires, au sein duquel les hommes préhistoriques ont vécu. En retour, l’association entre ce sol et les vestiges permet de restituer dans quel cadre paysager et climatique vivaient ces populations.

Parfois, cependant, les sols ont disparu, emportés par l’érosion, ne laissant sur place que quelques vestiges archéologiques dispersés, triés, et parfois même mélangés. Il faut alors savoir reconnaître ces niveaux particuliers, souvent riches en outils taillés, préservés au sommet des galets charriés par la Garonne, mais qui témoignent d’un sol disparu. Cela montre que le sol, que l’on croit intangible, est en réalité bien fugace. Il l’est d’autant plus qu’il est le premier à être touché, modifié, fragilisé par les activités humaines, et ce, dès le Néolithique.

 

Le sol modifié

Le sol des premiers agriculteurs est celui de trois agglomérations, toutes situées en périphérie de la Toulouse actuelle. À Saint-Michel-du-Touch. Les populations du Néolithique se sont installées à la pointe d’un éperon naturel dominant la confluence de la Garonne et du Touch. La protection naturelle offerte par le versant des vallées a été complétée par des fossés et des palissades, aménagés à travers le plateau entre les deux cours d’eau. Plus au sud, à Villeneuve-Tolosane, un autre habitat important s’inscrit également dans une enceinte, trapézoïdale celle-ci. Il s’agit des premières manifestations concrètes d’une prise de possession du sol dans le Toulousain. Avec Château Percin, à Seilh, ces trois habitats concentraient une bonne partie de la population au Néolithique. Cependant, on connaît mal le cadre de vie des habitants, en raison de la destruction d’une bonne partie de leurs maisons, en terre et bois, par les agents naturels. L’évolution de ces sites aux premiers temps de la métallurgie est plus difficile à suivre. Nous savons tout de même que Saint-Michel et Villeneuve-Tolosane ne sont pas totalement abandonnés à cette époque.

Les choses changent au Bronze final et au début du premier âge du Fer (VIIIe-VIIe siècles avant notre ère). On assiste à une première délocalisation des occupations humaines. Deux zones d’habitat sont connues, l’une dans la partie nord de Toulouse, à l’ancien hôpital Larrey, l’autre au sud, sur les coteaux de Pech-David, au lieu-dit Le Cluzel. Entre les deux se développe une petite nécropole dans le quartier Saint-Roch. Contrairement à son pendant de la plaine, le site du Cluzel occupe une position forte au-dessus de la Garonne et comporte un rempart de barrage. De plus, il est le seul à s’ancrer dans son périmètre en se développant pendant plus de six siècles. Le manque de place et le rehaussement progressif des sols conduisent à une sédimentation archéologique importante. L’habitat s’étend même sur le plateau voisin d’Estarac à la fin du VIe et au Ve siècle. C’est donc peut-être déjà l’embryon de la future Toulouse… Mais n’anticipons pas trop.

Carte hypsométrique de Toulouse et de ses environs dans son paysage actuel                    (dessin Laurent Bruxelles et Philippe Gardes / Inrap et Traces)

Du premier sol de Tolosa au second de Toulouse

Les écrits grecs et romains attestent l’existence de la ville gauloise de Tolosa au IIe siècle avant notre ère. Cependant, l’archéologie a clairement montré, contre toute attente, que cette ville n’était pas à Toulouse mais à 8 km au sud, sur les coteaux de Vieille-Toulouse ! Cette première cité s’étend sur 190 à 200 ha, et est ceinturée par un rempart de 6,7 km de long qui marque symboliquement la séparation entre sol urbain et sol rural. Les fouilles récentes montrent que cette ville possédait un noyau fortement urbanisé au lieu-dit « La Planho » sur 25 ha et des secteurs moins densément occupés au-delà. Une partie de l’emprise était probablement dédiée à des activités collectives ou artisanales. L’agglomération jouait un rôle politique et économique de premier plan à l’échelle du Sud-Ouest, voire de la Gaule toute entière. Elle se romanise même et présente le visage d’une véritable ville romaine à partir des années 40 avant notre ère. Pourtant, elle est abandonnée vers 10 avant notre ère…

En parallèle, une nouvelle ville est édifiée dans l’emprise de l’actuelle Toulouse. Contrairement à Vieille-Toulouse, elle offre un environnement favorable au déploiement d’un urbanisme à la romaine, possède d’importantes ressources en eau nécessaires au bon fonctionnement du réseau d’alimentation public, des thermes ou des fontaines, et se trouve sur le passage de la grande voie d’Aquitaine. Le sol d’origine de la nouvelle Toulouse a été observé à l’hôtel d’Assézat ou à l’hôtel Saint-Jean. Il est marqué par des constructions légères précédant l’édification de demeures à la romaine, avec sols mosaïqués. L’emprise de la ville est définie par un haut et puissant rempart de briques construit, à partir de 30 de notre ère.

 

Les sols toulousains

La ville est installée sur des sols qui ont une longue évolution et qui renseignent sur les anciennes occupations humaines. En fonction de la nature des éléments qui les composent, on distingue des sols variés. Relativement plans et bien drainés sur les anciennes alluvions de la Garonne, comme au Capitole, ils deviennent gorgés d’eau à la base des coteaux molassiques et dans le fond des vallées, comme dans le quartier d’Empalot. Très épais sous la ville actuelle de Toulouse, ils sont presque inexistants sur les coteaux de Pech-David où l’érosion les a fait disparaître. Cette mosaïque de sols est le fruit d’une très longue évolution, avec des accumulations, des stases, des purges… Ils sont aussi les supports des activités humaines et, lorsque les conditions le permettent, ils deviennent les conservatoires fragiles du passé.

Les traces des sols parcourus par les groupes de chasseurs-cueilleurs du Paléolithique sont fugaces, les vestiges sont rares, difficiles à lire, tels un palimpseste. La période a vu passer tellement de choses, avec parfois le développement d’un vrai désert venté et d’autres fois des forêts ou des steppes ! À cette époque, l’impact anthropique sur les sols est nul, mais dès le Néolithique, les populations se sédentarisent, dans un paysage forestier établi depuis plusieurs millénaires. Elles défrichent, utilisent les sols riches qui deviennent exploitables pour l’agriculture et l’élevage. L’impact sur les sols sera alors grandissant, jusqu’à la Protohistoire et l’Antiquité qui voient naître les premières agglomérations puis ce qui sera la Toulouse actuelle. Ici, les sols s’accumulent et le millefeuille de l’histoire de la ville s’épaissit. Il n’est plus un palimpseste mais bel et bien un livre dont les pages sont les nombreux sols empilés. Ces pages sont jaunies, parfois un peu effacées ou même déchirées. C’est un vieux grimoire qu’il faut préserver, lire, traduire, enregistrer : c’est le rôle des archéologues. Les moyens mécaniques actuels sont puissants et la ville se développe à grands pas, preuve de la vivacité économique et culturelle de Toulouse !
Veillons cependant à ce que ces nouvelles pages de l’histoire de la ville, qui s’inscrivent dans son sol, ne se fassent pas au détriment des plus anciennes, comme le serait un incendie dans cette belle bibliothèque de sols, aussi riche qu’unique.


© Laurent Bruxelles et Philippe Gardes - Inrap, Traces

Contenu additionnel :


Atlas archéologique du Grand Toulouse

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